La journée avait péniblement démarrée pour moi. Réveil qui sonne un peu trop tôt à mon goût et que je me suis empressée d'envoyer valser avant de me rendre compte que j'avais déjà deux foutues heures de retard. J'avais sauté hors de mon lit, plongeant mes deux pieds dans mes pantoufles de soie et enfilant le plus rapidement possible mon peignoir de chambre de la même matière, accourant vers la salle de bain. Pourquoi une fille comme moi avait des vêtements si chers … ? Eh bien, disons que je savais comment faire afin que l'on m'offre exactement ce que j'ai envie. Par ailleurs, à ma collection me manquait la splendide nuisette bleu nuit que j'avais vu dans une vitrine – et que je comptais d'ailleurs me faire offrir. J'eus le loisir de me faire couler un bain et d'y rester à l'intérieur pour une bonne demi-heure. Avais-je dis que j'étais en retard ? Oh, probablement. Néanmoins, il ne faut jamais négliger son apparence et, de toutes évidences, une demi-heure de plus ou de moins n'allait tuer personne. Personne à part moi. À peine étais-je sortie de la salle de bain, enroulée dans deux serviettes, que mon téléphone mobile vibrait sur la table du salon, agitant le bois. Je plissai les yeux et décrochai finalement. Gardant l'objet à une certaine distance de mon oreille afin de ne pas l'humidifier, je parlai. Une secrétaire du conservatoire qui venait me rappeler que j'avais cours, que j'étais en retard, et qu'il allait me falloir un justificatif de mon absence … Je soupirai en lui disant que je le ferais. Je fis mine de tousser un peu, au point d'en perdre le souffle afin qu'elle croit que j'étais réellement malade, puis écourtai la conversation avant de me mettre à lui claquer de désagréables mots à son si doux et disgracieux visage. Encore heureux que je n'avais pas le loisir de la voir, tiens. Je raccrochai en le relaissant sur le table, revint sur mes pas et ouvris le placard se trouvant dans la même salle. Parce que j'avais pour habitude d'y mettre mes habits à l'intérieur. Il était hors de question que j'aille jusqu'à ma chambre, mouillée, risquer de tomber par terre pour prendre mes habits. Ou poser mes habits dans un endroit qui risquait de se mouiller en attendant que je prennes ma douche. Hors de question. Je pris les premiers habits qui me tombèrent sous la main et constatai qu'ils allaient de pair et que, ainsi, je n'avais pas à me demander trop longtemps ce que j'allais pouvoir porter. Assez court, assez sexy … malheureusement pas assez vulgaire, mais il faisait peut-être légèrement trop froid pour que je puisse m'habiller comme j'en avais envie. Et puis, je me rattraperai ce soir, si l'envie me prenait de sortir au nightclub.

Mes longs cheveux secs raides sur mes épaules, et j'attrapai mes clefs afin de sortir de l'appartement. Où est-ce que j'allais ? Chez le docteur, bien sûr. Lui jouer mon numéro de comédienne afin qu'il pense sincèrement que j'étais malade et me crache un de ces foutus certificats qui me permettait de ne rien foutre en ayant une bonne excuse. Je dus prendre plusieurs stations de métro, un bus et taper à l'arrière d'un taxi à coup de talons avant de parvenir jusqu'à ce médecin sans avoir à me faire mal aux pieds. Ce médecin – n'était pas tellement le mien. Il était louche, avait l’œil vitreux et un regard pervers. Je le soupçonnais d'avoir envie que je passe sous son bureau – mais il était trop pauvre et trop moche pour que je m'y risque. Pourquoi allais-je donc le voir ? Parce qu'il ne pouvait me résister et me cédait toujours des certificats pour une longue période et sans réellement voir mes symptômes. Il faudrait que j'arrête, un jour. Mais pas maintenant, j'avais trop l'impression d'avoir perdu mon temps, quand vingt et une années de souvenirs partaient en fumée pour un simple et stupide accident. Ou en d'autres termes, que vous étiez amnésique et que vous aviez plus beaucoup de temps pour tout recommencer à zéro. Prendre un nouveau départ. J'ignorais si j'étais une bonne ou une mauvaise personne avant, mais j'estimais avoir eu droit à une seconde chance. Est-ce que je l'utilisais à bon termes ? Peut-être pas. Cela dépendait des points de vue. Pour moi, c'était une bonne chose. Je profitais, je récupérais tous les plaisirs que j'avais oublié. Pour d'autres, je devais être ni plus ni moins qu'une salope. je m'en fichais. Je me moquais de l'avis des autres, de leurs regards et de leurs pensées. De tous, sauf un. Son prénom ? Song Min Yeol. Ouais, Song comme moi. Ou moi comme lui. Il paraissait qu'il était mon jumeau et après plusieurs semaines passées avec lui, je ne pouvais plus nier l'évidente ressemblance physique que nous possédions. En caractère, cela dit, c'était … l'inverse. Étais-je comme lui, avant ? Hum ? Je n'en savais rien. Et j'avais beau me moquer de ce que ce gosse pouvait penser, quand il me regardait avec ses grands yeux affligés, je ne pouvais m'empêcher de tout remettre en question. Si je changeais pour autant ? Non. Pas vraiment. Après une demi-heure d'attente dans la salle prévue à cet effet, j'entrai finalement dans le cabinet et tendit la main de ce faux docteur qui la serra avec un entrain qui ne m'échappa pas. Dieu merci, je n'avais pas séché assez de cours au conservatoire pour ne plus savoir comment jouer la comédie. En moins d'un quart d'heure, je ressortis avec mon certificat et une main posée sur mon front en me disant de bien prendre soin de moi. J'esquissai un sourire. Je savais de quelle manière il avait envie de prendre soin de moi. Cela dit, il était impossible pour lui qu'il le fasse. J'étais sur le point de rentrer chez moi lorsque je croisai un garçon. Un jeune garçon. Il me sourit et j'en fis de même. Et pour cause, cela faisait déjà plusieurs semaines que je lui traînais autour, et lui autour de moi. Il était à un café, alors je décidai de m'y arrêter également. De fil en aiguille, la journée s'écoula et, sans que je ne m'en rendes vraiment compte, je terminai dans un restaurant en sa compagnie – à ses frais. J'aurais pu penser rentrer chez moi tranquillement, mais c'était sans compter sur son pied qui frôlait ma jambe, sous la table. Je jetai un œil sur le côté et, voyant le petit paquet noir qui contenait la nuisette dont je rêvais tellement, achetée par son porte-monnaie, je me dis qu'il était normal et respectueux de le remercier comme il se devait. Le repas passa avec une rapidité affolante et je me vis sortir de sa voiture afin de me diriger vers mon appartement. Ma tête me rappelant que j'avais osé boire de l'alcool avec lui tandis que je montai quatre à quatre les escaliers tout en tenant sa main. Je sentis ses lèvres se poser sur ma nuque pendant que j'insérais mes clefs dans la serrure. Et mon dos claquer contre la porte d'entrée une fois que nous fûmes rentrés. Cela aurait pu continuer ainsi si la lumière du salon ne s'était pas subitement allumée, attirant mon attention et la sienne. Une silhouette se présenta à mes yeux et je dû les plisser avant de les écarquiller en lâchant un juron. « minyeol? » question stupide, oui.

Le temps de compter sa caisse et de terminer son chiffre, l'heure affichée sur l'horloge des employés lui indiqua près de vingt-deux heures trente et il se départit de la veste qui composait son uniforme pour la laisser dans sa case. Vite fait, Minyeol salua l'autre caissière qui avait fait la soirée avec lui avant de saisir son porte-monnaie et ses clefs avant de s'en aller. Il ne fut qu'à moitié surpris de ne voir aucune lumière allumée dans l'appartement lorsqu'il y entra et se dirigea machinalement vers le coin cuisine où il trouva un petit post-it apposé sur la surface lisse du comptoir. Prenant le bout de papier entre ses doigts, Song n'eut aucune difficulté à reconnaître l'écriture de sa grand-mère qui lui disait de ne pas s’inquiéter, qu'elle serait de retour dans la nuit parce qu'elle allait célébrer l'anniversaire d'une amie. Sa propre grand-mère rentrait plus tard que lui et ça le fit sourire, un peu amusé par l'ironie de la situation. N'ayant aucunement besoin de le conserver, Minyeol froissa le papier avant de le jeter et quitta la cuisine pour gagner sa chambre où il se fit quasiment attaquer par une boule de poils un peu obèse qui manqua de le faire trébucher. Le jeune homme se pencha pour prendre la bête dans ses bras, accordant un bisou au profil du furet qui s'était certainement ennuyé avant d'aller remplir sa gamelle de nourriture. Déposant l'animal, elle se jeta quasiment tête première dans sa gamelle, geste qui fit rire son propriétaire alors qu'il se dirigeait vers sa commode pour en sortir un pyjama. Heureusement pour lui, il y avait si longtemps qu'il possédait le jogging et le t-shirt sur lesquels il posa les doigts qu'il se souvenait bien des post-it indiquant la couleur de ceux-ci et était ainsi bien certain qu'ils ne juraient pas ensemble.

Le souvenir du temps où sa sœur se donnait la peine d'inscrire la couleur de ses vêtements sur des bouts de papier lui rappela qu'il ne l'avait pas croisé de la journée au conservatoire. L'accident avait changé sa jumelle mais, pas pour le bien et c'était déboussolant. Jamais Haebyeol n'aurait raté ses cours sans une raison valable or, ces derniers-temps, elle manquait souvent. Si bien qu'il se retrouvait à devoir travailler les projets, qu'ils faisaient généralement à deux, tout seul. Certes, d'autres amis lui avaient bien proposé de prendre la place de sa jumelle pour lui filer un coup de pouce mais, Minyeol avait refusé à chaque fois. C'était l'unique situation dans laquelle il refusait quelque chose. La place appartenait à Haebyeol et si elle ne la prenait pas, c'est lui qui la prendrait, quitte à se foutre le double de travail sur les épaules. C'était épuisant puisqu'il était habitué de partager les tâches mais, pour l'instant, il était toujours en vie et, heureusement pour lui, ce n'était pas les idées qui lui manquaient.

Minyeol dût se forcer à cesser de penser afin de se diriger vers la salle de bain pour se doucher après une si longue journée, enfilant ensuite des vêtements cent fois plus confortables que ceux qu'il s'était coltiné pendant toutes ces heures. Une fois propre et habillé, il laissa le loisir à ses cheveux de finir de sécher à l'air ambiant, reprenant la direction de la cuisine pour s'y faire couler un café. Il avait toujours eu une certaine préférence pour le goût du café à celui du thé, allez savoir pourquoi mais, personne ne s'en plaignait vraiment. Surtout pas Mei qui déboula dans la cuisine comme une furie suite au bruit de la cafetière qui se met en marche. Il sourit à la bête, se penchant quelques secondes pour lui grattouiller la tête avant d'aller chercher son portable qu'il emmena dans le salon, le déposant sur la table basse pendant qu'il ouvrait. Revenant dans la cuisine, Yeollie fût contraint de pousser son furet à l'aide de son pied pour s'approcher du café frais et s'en verser une tasse. Son regard glissa quelques secondes vers l'animal qui tentait de lui escalader la jambe en poussant des cris non-identifiés. « T'as une sérieuse dépendance, Mei. » Un fin soupire lui échappa alors qu'il roulait des yeux, tendant le bras pour saisir un petit bol dans l'armoire qu'il remplit de café et de lait, évitant le sucre vu qu'il la soupçonnait de frôler le diabète. Prenant garde à ne pas trébucher sur l'animal hystérique, il parvint à retourner au salon où il déposa le bol en premier puis son café et s'empressa de prendre son ordinateur loin des deux sources de danger. Comme prévu, Mei se jeta sur la table basse et alla pratiquement se noyer dans le bol de café après avoir poussé un cri de guerre, ce qui fit évidemment rire le jeune homme.

Confortablement installé, les lumières éteintes et son entière concentration dédiée à son portable, Minyeol se pencha sur les devoirs qu'il avait à faire, carburant énergiquement avec l'aide de son café qu'il devait constamment protéger de Mei qui avait déjà terminé d'engloutir son bol et qui était encore plus énervée qu'elle ne l'était déjà. Rien d'étonnant qu'entre l'écran lumineux et la lutte incessante, Song finit par s'endormir sur le divan, le portable posé sur la table basse avec l'écran passé en mode veille en compagnie de Mei qui avait finalement décidé de se laisser tomber dans une sieste soudaine entre les bras de son maître. Ce qui le réveilla fut un son sec en provenance de l'entrée, bruit qui le fit sursauter et presque jeter son furet contre le plancher. Ses mains s'empressèrent de saisir l'animal au cœur battant à tout rompre pour la conserver contre lui et se leva, allumant la lumière du salon dans un réflexe pour voir ce qui se passait. Bien sûr, Minyeol n'eut aucune misère à reconnaître sa sœur mais, ce fut autre chose pour l'homme qui l'accompagnait. Bien le connaître signifie savoir que jamais il ne sera malpoli avec quelqu'un, pas même un inconnu qui en veut vraisemblablement à l'entre-cuisse de sa jumelle mais, ça ne veut pas non plus dire qu'il va le laisser faire sans rien dire. « Tu ramènes une drôle de visite pour quelqu'un qui devrait être malade. » Parce que oui, pour ne pas s'être pointé le bout du nez au conservatoire de la journée, la raison la plus plausible aurait dû être qu'elle était terriblement malade. Or, Minyeol n'était pas encore assez idiot pour croire que ça avait été le cas mais, de là à aller ramener un type qui ne serait là qu'une nuit était un peu exagérée. Enfin, Yeollie n'avait aucune moral à faire sur ce point – bien qu'il n'était nullement comme elle à ce niveau – mais, tout restait dans le principe qu'elle ne vivait pas seule ici. Elle l'aurait ramené quand même, même avec la présence de grand-mère ?

Tu ramènes une drôle de visite pour quelqu'un qui devrait être malade. Je soupirai à l'entente de cette simple phrase. Et aller. J'allais avoir droit à un sermon d'une demi-heure parce que c'était mal de ramener des inconnus, de sécher les cours et blablablaaa … je ne comprenais pas comment mon supposé jumeau pouvait me paraître si ennuyeux, au fond. À suivre si scrupuleusement les règles, à être toujours bien rangé, bien droit, bien parfait … avait-il toujours été comme ça ? Lorsqu'Haebyeol parlait de son frère dans son journal intime, c'était la huitième merveille du monde. Pour moi, c'était juste … c'était juste quoi ? Aucune idée. Je n'en savais tellement rien que le premier mot qui me venait à l'esprit était rien. Est-ce que Minyeol était rien ? Pas exactement. Je me sentais un peu comme le côté obscur de la force qui avait possédé le corps d'une Sainte. J'avais beau vouloir de toutes mes forces n'avoir aucune attache afin d'être sûre de ne rien perdre – avec lui c'était pas tout à fait la même chose. Appelez ça comme cette foutue connerie de lien jumelé ou quoi – mais à ce que je devrais rire normalement, quand Minyeol me le disait, je le prenais mal. Prenons cet exemple-ci. Logiquement, si une personne quelconque m'avait fait cette remarque, alors je l'aurais ignoré et remballé. Là, je ne pouvais pas. Pour autant, il n'était rien de plus qu'une personne quelconque à mes yeux. Je partageais ma maison avec lui, mais c'était tout. C'était un peu comme si la Haebyeol décédée refaisait surface occasionnellement face à son frère. Me hurlant de l'intérieur ne lui fais pas de mal, je t'en prie, ne sois pas méchante avec lui. Je posai ma main sur celle de mon ami et lui fit lâcher ma cuisse. Reposant mes deux jambes à terre, je m'extirpai sur le côté avant de sortir de ma poche le certificat médical que j'avais obtenu plus tôt dans la journée. Je l'agitai dans les airs, histoire de lui dire, tu vois ? je l'ai. Je soupirai, me retournant vers l'ami. J'approchai vers lui, récupérai le paquet contenant ma précieuse nuisette de soie et ouvris la porte, lui faisant clairement comprendre qu'il fallait dégager. Oh, bien sûr, j'aurais adoré lui faire un clin d’œil, être chaleureuse, l'inciter à venir une fois prochaine. Mais ce cher jumeau était là et nous regardait. Je ne pouvais réellement pas me permettre de continuer à jouer l'aguicheuse quand je sentais ses yeux sur mon dos. Le jeune homme plissa les yeux et quitta l'appartement avec une certaine pointe d'insatisfaction. À l'heure actuelle, je m'en moquais.

Une fois que j'eus fermé la porte derrière lui, je mis un certain avant de lui faire face. Qu'est-ce que cela devait faire ? De voir physiquement sa sœur vivante, mais de savoir sa véritable identité morte à tout jamais. Oh, oui. J'avais conscience qu'il ne devait pas m'aimer – j'avais conscience que personne ne m'aimait réellement en fait. Si je m'en moquais ? Absolument. Néanmoins, c'était toujours difficile de voir le même regard que le vôtre vous exprimer clairement sa déception, sa tristesse. Sa désillusion. Si je me sentais désolée pour lui ? Pas réellement, sinon j'essaierais de faire de mon mieux pour redevenir celle que j'avais été. Toutefois, ce n'était pas exactement comme si je prenais du plaisir à le torturer d'une certaine manière. Peut-être qu'au fond, j'espérais qu'un choc ravive mes souvenirs ? Concrètement, je les avais. Je savais ce qui m'était arrivé dans mon passé, puisque je l'avais lu dans mon journal intime. Mais c'était comme lire l'histoire d'une autre. Je pouvais visualiser, imaginer, voire ressentir ce qui s'était passé. Cela dit, ce n'était pas mon histoire. C'était celle d'une autre. Je ne me rappelais de rien. Je le savais parce que je l'avais lu. Ce n'étaient ni souvenirs ni mémoire. Juste … un récit. Et si je retrouvais ces souvenirs, est-ce que mon moi actuel s'effondrerait dans la nature, comme l'avait fait le précédent ? C'était à vous faire devenir dingue. Une schizophrène. Pour peu, j'étais carrément schizophrène. Je me tournai finalement vers Minyeol, traînant des pieds comme un animal le ferait après avoit fait une bêtise et me dirigeai vers le balcon que j'ouvris en extirpant un paquet de cigarettes de ma poche. J'en allumai une, inspirai une bouffée, puis recrachai la fumée noire cancérigène à l'extérieur. « Tu t'es possiblement inquiété de pas me voir? » demandai-je d'un ton neutre, quoi qu'une pointe d'ironie avait dû percer quelque part par là. Je remarquai le petit animal entre ses doigts et le fixai. Si j'avais pu, je serais allé le prendre – mais je crois que cette boule de poil avait un petit problème avec moi. C'était compréhensible, dans le fond. Lui aussi avait dû connaître la gentille Haebyeol qui devait le nourrir. Moi, la seule chose que je faisais avec c'était m'essuyer les pieds dessus quand elle passait sous la table et que je déjeunai. « Ou t'es venu m'botter le train parce que je glande que dalle et qu'on paie l'école pour du vent ? » Je ne savais moi-même pas pourquoi je séchais le conservatoire. Bon, d'accord, y'avait deux-trois cours qui me prenaient la tête, comme dans toutes les sections. Mais chaque fois que j'avais du temps libre, je me jetai sur ce violon. Ou sur le piano. Des fois, mes doigts allaient tous seuls et une émotion trépidante secouait mon corps de frissons. J'étais certaine qu'Haebyeol donnait un ton à ses mélodies selon ce qu'elle vivait. Quand je jouais une mélodie plutôt triste, je ne l'étais pas forcément. Quand je jouais quelque chose d’entraînant, je pouvais me retrouver plongée dans une mélancolie incontrôlable. C'était aléatoire. J'étais sûre qu'elle y accolait ses souvenirs dessus. Elle devait y faire quelque chose, c'était obligé. Je ne pouvais pas ressentir tout ça pour de malheureuses cordes frottées par d'autres … j'inspirai une nouvelle bouffée de nicotine avant de la recracher. L'ancienne moi ne fumait pas non plus. Cela devait déplaire à chubby. … chubby ? Minute. D'où ça venait ça. Je plissai les yeux, secouai la tête avant de me masser une tempe à l'aide d'une seule main. « Elle rentre quand la vieille ? Elle pieute déjà ? » lançai-je d'un ton désinvolte.

Allez savoir ce qui avait pu venir trafiquer les méninges de sa sœur, de celle qui lui ressemblait tant. Où diable pouvait bien être passé la jeune femme avec qui il entretenait une si grande complicité ? Non pas qu'il détestait la nouvelle personnalité d'Haebyeol, mais Minyeol était bien contraint d'admettre qu'elle ne lui plaisait pas particulièrement. Les vices commençaient à prendre le contrôle. Se faire payer des trucs, ramener des mecs à l'appartement, fumer, sortir, manquer des cours, boire probablement beaucoup trop et sûrement encore une série de trucs qu'il ignorait et que, au fond de lui-même, Song ne désirait pas savoir. Il voulait conserver la belle image qu'il avait à l'égard de sa jumelle, malgré la difficulté qu'elle engendrait avec ses cuisses beaucoup trop légères. Voir sa sœur ainsi avait un petit quelque chose de choquant. C'était un peu comme si une croyance se brisait puisqu'il ne l'imaginait pas ainsi. Oh certes, Minyeol aurait été bien idiot de croire en la virginité de la jeune femme qui avait autrefois partagé un utérus en sa compagnie, mais il avait toujours privilégié de seulement le savoir inconsciemment. Le réaliser de ses propres yeux venait doucement détruire l'image de poupée qu'il conservait précieusement. S'il y avait bien une chose qu'un frère ne voulait pas savoir, c'était bien que de sales types posaient leurs pattes grasses sur le ravissant corps de sa frangine.

Heureusement pour son cœur de frère, elle chassa le jeune homme inconnu de l'appartement assez tôt pour qu'il n'est pas à le faire lui-même. Ou plutôt, qu'il ne tente de le faire par lui-même, ce qui aurait abouti à un échec lamentable dû à son manque d'autorité flagrant, du coup, cela lui évita une certaine humiliation. Néanmoins, il la suivit jusqu'au balcon pour la voir s'allumer une cigarette et contribuer à détruire ses précieux petits poumons. Ainsi que les siens avec la fumée secondaire qui s'en dégageait à chaque bouffée qu'elle prenait. Elle risquait le cancer et partageait cette expérience avec lui. Comme quoi, ils partageaient vraiment presque tout. Bien que, dans ce cas-ci, Minyeol aurait préféré rester en dehors de cette histoire, mais il lui était tout bonnement impossible de planter Haebyeol pour aller retrouver son lit douillet qui hurlait présentement son adorable prénom pour qu'il aille s'y crasher et y dormir pendant de longues heures avant de devoir reprendre sa vie de jeune adulte responsable. Son regard se posa plutôt sur la fumée qui quittait les lèvres de la jeune femme, écoutant les paroles qu'elle avait à dire. Une question un peu idiote. Quand ne s'inquiétait-il pas pour elle ? Minyeol avait toujours été le premier à se faire le plus de soucis au sujet de sa jumelle et avec raison. Elle était tout ce qui lui restait de leurs parents, avec mamie. Il tenait à elle par le fait qu'ils avaient été proches et qu'ils avaient su s'entendre à la perfection pendant des années sans jamais se chamailler comme de véritable frère et sœur. « T'as cru quoi ? Je m'inquiète toujours pour toi, Haeby. » La vérité toute pure, prononcé avec une fine intonation qui ressemblait à de la culpabilité. Il en venait presque à se sentir mal tant elle semblait s'en foutre de le faire stresser pour rien, aussi simple la raison soit-elle. Surtout que depuis l'accident, Song était devenu un brin paranoïaque au sujet de sa sœur, se faisant bien souvent trop de tracas pour rien lorsqu'elle s’absentait et qu'il ignorait où elle était. « Je ne vais pas te forcer à faire ce que tu ne veux pas. Seulement, c'est un peu ennuyeux de tout faire tout seul, je vais pas te mentir là-dessus. Normalement, tu aurais sauté de joie à l'idée. »

Un soupir lui échappa. Un soupire particulièrement long pendant lequel il abaissa les yeux en direction de l'animal qu'il tenait encore dans ses bras pour lui grattouiller le dessus de tête avec affection. Ce qu'il pouvait s'ennuyer de sa Haebyeol. De celle qu'il connaissait comme le fond de sa poche. Celle avec laquelle il s'entendait si bien et qui s'intéressait toujours à ce qu'il avait à lui raconter. Celle qui aurait passé la soirée avec lui à rédiger avec enthousiasme leur nouvelle comédie musicale, à sortir autant d'idées que lui, peut-être un peu moins, mais qui aurait tout de suite eu des idées de chansons à instaurer dans le projet. Lui n'avait pas cette facilité et cela requérait donc un surplus d'effort de la part de ses méninges. Minyeol relâcha l'animal qui retrouva le confort de l'appartement avant de s'approcher un peu plus de sa jumelle, hésitant à la regarder et décida d'éviter de croiser son regard pour le moment. Néanmoins, lorsqu'elle ouvrit la bouche la première pour parler de manière malpoli de leur grand-mère, une fulgurante envie de la gifler traversa sa main, mais elle resta inerte. Il lui était inconcevable de poser un tel geste, pourtant, Haebyeol l'aurait mérité. Parler ainsi de leur mamie était tout bonnement irréaliste et irrespectueux, et Minie le lui démontra assez clairement en tournant rapidement la tête vers elle pour la fixer de ses grands yeux outrés. « Comment tu peux parler de grand-mère comme ça ? C'est elle qui nous a élevés, un peu de respect bon sang. » S'énerver ne figurait pas du tout dans ses habitudes, mais il ne fallait pas ambitionner sur les points sensibles que Minyeol défendrait coûte que coûte. Quoique, même avec une pointe de ton irrité, son physique jouait contre lui et le rendait absolument adorable, ce qui jurait avec son froncement de sourcil qui fût bien vite abandonné pour laisser place à un air un peu triste. Triste et déçu. Triste parce que celle qu'il aimait était horriblement absente, déçu car jamais elle n'aurait parlé ainsi de la femme qui avait prit soin d'eux depuis toutes ces années. Encore une fois, il soupira, agitant doucement la tête de gauche en droite, bougeant involontairement quelques mèches de sa tignasse et posa son regard par dessus le garde du balcon. « Byby, je ne te reconnais plus et ça me déboussole... » Parler à cœur ouvert n'avait jamais été quelque chose de difficile pour le jeune homme, surtout pas envers sa jumelle.